lundi 6 février 2017

L'oeuvre de la semaine: les portes dans l'Art

En lien avec les œuvres du programme (principalement Veronèse mais aussi Oldenburg et Bill Viola) quelques références artistiques en vrac sur le thème de la porte.
Au delà des questions symboliques de la porte, objet de passage entre deux espaces, surface plane, ouverte ou fermée sur l'inconnu, ce cours permet des questionner les notion de représentation et de présentation, au programme de 1er/Terminale.

Porte de Baptistère de Florence (Italie), Bas-relief en bronze de Pisarro, Ghiberti et Michel-Ange


Détail d'un bas-relief de la porte. On remarque le travail de profondeur. Le bas relief est dans entre-deux de la peinture et de la sculpture

Rodin, Les portes de l'Enfer, portail illustrant un chapitre de la Divine Comédie de Dante. C'est un travail illustratif qui rentre dans le principe de représenter le texte. Les trois sculpture en haut sont issus du même moule. Elles REPRÉSENTENT le même personnage mais sont PRÉSENTÉS différemment. Le spectateur doit normalement tourner autour de la ronde-bosse pour en découvrir toutes ses facettes, c'est ici la sculpture qui tourne sur elle même.

Il est intéressant de noter que Rodin fesait des visites nocturnes de l'atelier à la bougie, la lumière de la flamme déformant les ombres et créant un nouveau point de vue sur l'oeuvre. Une manière originale de la PRÉSENTER. On remarque sur ce détail la célèbre sculpture du penseur.

Gaudi, portail du palais Guell à Barcelone, inspiré par la légende de Sant Jordi

Oldenburg et Van Bruggen, Jumelles, 1991
Cet objet insolite est la porte d'entrée du parking d'un bâtiment conçu par Frank O Gehry
http://oldenburgvanbruggen.com/largescaleprojects/binoculars.htm

Porte d'une maison de la propriété de Salvador Dalì à Port Lligat, Cadaques 

Ernest Pignon-Ernest, Naples, 1990, des dessins aux fusains et à l'encre collés dans la ville. Les images sont inspirés de la peinture italienne, notamment Caravage, et les personnages entrent et sortent d'ouvertures noires en trompes l'oeil, comme un passage vers une autre dimension.
On note ici le drap qui continue d'exister sur le trottoir. Le dessin est mis en scène dans la ville, l'espace réel est son décor. 



Emanuel Dewitte, interieur avec femme jouant de l'épinette. Peinture hollandaise dans la pure tradition d'un Vermeer. Le jeu des portes en perspectives ouvre vers une multitude d'espace qui marque une distance visible entre le travail (la domestique au fond) et la culture (la maîtresse de maison jouant de la musique)

Léonardo Cremonini, les écrans et les ombres. Ce peintre italien utilise la porte comme un écran pour jouer avec la lumière. Le corps hors-champ deviens visible par son ombre ou son reflet morcelé dans un miroir, créant ainsi une dimension narrative.


Mauris Denis, la cabine de bain. Ici c'est l'effet de contre-jour qui est subtilement rendu par le travail de la couleur.

Jean-Honoré Fragonard, Le verrou, 1778
Daniel Arasse : Histoires de peintures :
"
Sur la droite, un jeune homme enlace une jeune femme et de la main droite pousse le verrou du bout du doigt, ce qui est assez irréaliste. La jeune femme serrée contre lui se pâme et le repousse. Toute la partie gauche du tableau est occupée par un lit dans un extraordinaire désordre : les oreillers épars, les draps défaits, le baldaquin qui pend… Un spécialiste de Fragonard a eu cette formule admirable pour décrire le tableau : à droite le couple et à gauche rien (..).
Effectivement, il n'y a pas de sujet dans cette partie du tableau, juste des drapés, des plis, donc finalement de la peinture. En observant les oreillers du lit, Daniel Arasse remarque que leurs bords sont anormalement dressés, comme des pointes vers le haut. En regardant dans la direction de ces pointes, il voit que dans le baldaquin s'ouvre légèrement un tissu rouge, avec une belle fente allant vers l'obscur. (…) Ce repli noir dans le tissu rouge peut cependant avoir du sens par rapport à ce qui va se passer, d'autant plus que le drap de lit qui fait l'angle au premier plan jouxte la robe de la jeune femme et est fait du même tissu que cette robe. Si vous regardez bien cet angle c'est un genou.
Il apparaît donc que ce rien est l'objet du désir ; il y a le genou, le sexe, les seins de la jeune femme, et le grand morceau de velours rouge qui pend sur la gauche et qui repose de façon tout à fait surréaliste sur une double boule très légère avec une grande tige de velours rouge qui monte.
"
Pour Daniel Arasse cela ne fait aucun doute, c'est une métaphore du sexe masculin.
Mais le critique d'art insiste bien aussi sur le fait que tout ce qu'il peut dire de ce rien qui occupe la moitié du tableau, c'est que c'est un lit à baldaquin en désordre. S'il commence à nommer les choses alors son discours se teinte d'une vulgarité qui ne correspond pas du tout au tableau. Etre confronté à l'innommable est ce qui l'a passionné dans ce tableau. Nommer le lit comme genou, sexe, sein, sexe masculin dressé, est scandaleux, car c'est précisément ce que ne fait pas le tableau. Il ne le dit pas, ne le montre même pas, au spectateur de le voir ou non.
Pour Daniel Arasse, le spectateur est confronté à l'innommable, non parce que la peinture est dans l'indicible, ce qui impliquerait une notion de supériorité, mais parce qu'elle travaille dans l'innommable, dans l'en deçà du verbal. Et pourtant, ça travaille la représentation. Mais dès que les choses sont nommées, elles perdent cette qualité d'innommable de la peinture elle-même.
Daniel Arasse : Histoires de peintures : p. 316 et suivantes


Dorothea Tanning, image surréaliste à tendance fantastique: des portes donnent sur des portes à l'infini. L'espace semble devenir un labyrinthe. 

Vasari, St Luc peignant le Vierge. En premier historien de l'Art, Vasari peint une peinture qui nous parle du métier de peintre. Dans l'espace du fond nous voyons les gestes techniques de l'atelier.

Gozzoli, la danse de Salomé. La porte permet de couper les moments de la narration dans un même espace, un peu comme une case de BD. Le personnage décapité sous la voute, retrouve sa tête dans un plateau au fond un peu plus à droite dans l'autre espace.

Léonard de Vinci, L'Annonciation, 1472, 98x217cm, Offices, Florence
Dans cette scène biblique, De Vinci reprend une idée de Giotto pour lui aussi diviser les moments de la narration mais sans repeter les personnages dans un même espace (pour lui la peinture devait utiliser l'unité de temps et de lieu). Ainsi la porte ouverte sur la chambre exprime le mystère de l'immaculée conception.

Velasquez, les menines

Veronese, Fresques de la Villa Barbaro à Masère. Plusieurs portes en trompe l'oeil font face à des portes réel. Des personnages entre-ouvre ces portes, nous invitant à entrer dans la peinture ou signalant la fonction festive du lieu où se déroulait de nombreux jeux.

Au fond de ce couloir, qui est constitué par une suite de porte, on aperçoit un autoportrait de Veronese en costume de chasse. Il a 18 ans lorsqu'il commence à travailler pour les fresques de la villa, qu'il fréquentait déjà avant de travailler dessus, avec sa femme et ses enfants, lors des fêtes organisées par la famille Barbaro.
On remarque que la porte, surmontée d'un fronton inspiré de l'antiquité greco-romaine, est encadrée par deux colonnes peintes en trompe-l'oeil, tout comme les deux paysages, les deux sculptures, le cadre et la peinture du dessus.

Vraie porte et vrai fronton cette fois, encadrées par deux muses dans des niches en trompe-l'oeil

Même principe mais avec une porte en trompe-l'oeil, entrouverte par une servante qui semble épier les convives et visiteurs


Bonnard, la porte ouverte à Vernon. Peinture Fauve avec de belles couleurs et un cadrage original. Les quatre vitres de la porte forment comme des petites toiles abstraites (on dirait des Barnett Newman)

Bonnard utilise souvent des jeux de surcadrage, avec des surfaces planes, portes ou murs, qui crées des éléments décoratifs

Caspar Friedrich, la porte du cimetière. Peinture romantique avec un vieux portail en ruine en contre-jour laissant entrevoir un cimetière

Magritte, la perspective amoureuse. La porte comme objet détourné est souvent utilisé par le peintre surréaliste pour créer une image poétique. La porte ouvre vers un monde fantastique où tout est possible


Vihelm Hammershoi, les portes ouvertes. Ambiances intimes mais un peu oppressante. L'espace semble être un labyrinthe 


Monet, la porte du jardin

Henri Lesidaner, la porte dans les feuilles. La surface blanche ainsi que le feuillage permet au peintre impressionniste de développer son travail sur la lumière par petites touches de peinture


Paul Delvaux, à la porte. Peinture surréaliste troublante. espace ouverte sur l'exterieur ou murs peints en trompe l'oeil ? ou se trouve le re dedans et le dehors ? où se trouve le réel ? Les deux femmes aussi sont étranges, comme en miroir avec d'infime différences et décalage. 

Kess Von Dongen, interieur à la porte jaune. Cette surface coloré ne semble pas pouvoir s'ouvrir, contrairement au meuble en perspective réaliste. La peinture n'est pas le réel, les portes ne s'y ouvrent pas. Beau travail de couleur avec un choc violent du bleu/rouge de gauche avec le jeune/orange de droite. La peinture réaliste contre le minimalisme et l'abstraction ? c'est toute une histoire de la peinture qui s'affronte sous nos yeux.

Jhon Singer Sargent, porte d'un palais venitien. A Venise, patrie de Veronese, certaines portes donnent directement sur l'eau du canal. Les bateau y remplacent les voitures.

Leon Spilliaert, la porte ouverte

Matisse, porte fenêtre à Collioure, 1914, centre Pompidou
La couleur noir qui recouvre l'espace qui s'ouvre crée une peinture fascinante à la frontière de la figuration et de l'abstraction. Matisse représente sa fenêtre mais présente la Peinture pour elle même: une composition de surfaces colorées.
Deux textes très éclairants sur cette oeuvre et le thème de la fenêtre chez Matisse sur le site du centre Pompidou

Marcel Duchamp, étant donné...
Cette installation joue avec le spectateur en le plaçant en position de voyeur. Le visiteur arrive devant l'oeuvre et se trouve face à une porte fermée (donnée à Duchamp par Salvador Dalì depuis sa demeure de Port Lligat). Pour voir le reste de l'oeuvre il doit regarder par un petit trou de cette porte. Cette porte, comme un ready-made, n'est pas une representation, mais une porte réelle. Nous seulement elle nous est présentée mais elle fait partie intégrante du dispositif de présentation.

Ici une vision du dispositif complet. L'art n'est plus pour Duchamp cette fenêtre ouverte sur le monde mais bien une porte fermée sur un dispositif complexe construit pour tromper l'oeil du spectateur. C'est oeuvre, bien plus une installation géniale est un commentaire sur l'Art.
Un texte éclairant sur cette oeuvre ici

Tom Wesselman, Great nude, L'artiste Pop propose des peinture/assemblage assez proche de l'oeuvre de Duchamp ci-dessus. En effet si la femme et l'espace de la salle de bain est peinte, représentée de façon semi-réaliste (avec des codes graphiques et picturaux empruntés à la publicité), la porte, la serviette, la corbeille à linge et le rideau sont des objets réel (la toison de la femme se trouve dans un entre-deux, sans mauvais jeux de mots). La porte n'est donc pas représentée mais présentée.

Nicole Evansand et Pat Fanell, door steps. Dans cette installation in situ de porte dans la nature, les sculptures assemblée de portes nous font penser à Magritte. L'image de l'oeuvre donne elle l'impression d'un mur peint en trompe l'oeil. La restitution d'une oeuvre influe sur sa perception.


Pilgram Arton, autoportrait, 1460. Ce bas relief surmonte le caveau de l'artiste dans une cathédrale. Cela nous donne l'impression étrange de le voir sortir de sa tombe comme un zombie...

Jean Marcel, armoire surréaliste, 1941. Un meuble dont les portes s'ouvre sur une peinture de paysage. Une oeuvre qui s'ouvre ou se ferme, comme les polyptyques religieux, que l'on ouvraient les jours de fêtes ou la célèbre origine du monde de Courbet que les psychanalyste Lacan dissimulait derrière une oeuvre du peintre surréaliste Masson, conçue à cette effet.

Frank Thilo. Dans cette installation le spectateur tourne autour d'un cube avant de trouver une porte...

A l'interieur il pourra faire de la balançoire dans une pièce pleine de miroirs. La porte fait partie du dispositif de présentation de l'oeuvre, qui permet d'ajouter une effet de surprise et de conserver l'intimité du participant qui peux s'amuser seul dans l'espace.

Sur un principe assez proche de l'oeuvre précédente, Ann Veronica Jansen présentait à la Biennale de Lyon de 2006 un environnement immersif. Le spectateur entre dans une pièce pleine d'un brouillard coloré qui perturbe nos sens et notre orientation. Le but et de trouver la porte de sortie dans cet espace dont nous percevons pas la dimension
Lorsque nous approchons de la porte, celle-ci s'allume pour nous signaler la sortie

Velickovic, exit fig XXVIII, 1990
Au cinéma on peux évoquer le rôle des portes dans le suspence de Shining de Kubrick, dans l'humour chez Tex Avery, ou sur le thème du voyeurisme avec le personnage qui regarde par le trou de la serrure, comme le spectateur dans la salle qui regarde le film...





Dans l'oeuvre de Bill Viola, la porte, comme objet ou comme thème ne semble pas être un élément déterminant de l'oeuvre. Il est pourtant possible de faire une (re)lecture éclairante de l'ensemble de son corpus artistique par ce prisme thématique. (A préciser que ces interprétations n'engagent que mon regard de professeur d'Art et ne doit pas être pris comme "parole sainte" sur le travail de l'artiste)

Bill Viola The Reflecting Pool 1977-79 160×214cm SD, sound Projection 7 minutes Artist’s collection Photo: Kira Perov ©Bill Viola

La porte c'est avant tout une surface plane qui permet le passage d'un espace à un autre. L'idée de passage est une notion traversante dans toute l'oeuvre de Bill Viola, bien que la surface à traverser soit le plus souvent un plan d'eau, horizontale comme la piscine de The reflecting Pool (1977-79) ou verticale comme le cascade des transfigurations (2007) ou de Three Woman (2008). Le changement d'état qui succède à la traversée de la "porte naturelle" que symbolise l'ecran d'eau dans ces deux dernière vidéo est clairement visible puisque les personnages passent du noir et blanc à la couleur.



Trois étapes d'une vidéo de la série transfiguration, 2007
From Bill Viola's performance "Inverted Birth"


Dans Chapel of frustrated actions and futile gestures (chapelle d'actions frustrantes et de gestes futiles, 2013), l'une des action en boucle en bas à gauche du split screen est un acteur qui entre et sort de la pièce sans fin. Notons que cet acteur est Bill Viola lui même.
C'est encore lui qui apparait dans l'oeuvre perfomative The amazing Colossal man (1974) où un géant semble coincé dans le grenier d'une maison, comme l'Alice de Lewis Caroll (un conte ou les portes ont une importance capitale). C'est en pleine nuit, dans sa maison de Syracuse (Etat de New-york), que l'artiste colla, sans prévenir personne du quartier, un grand écrans contre les fenêtre du grenier sur lequel est projeté une image de son visage en gros plan hurlant et tapant contre les vitres. Deux haut-parleurs poussés à fond eurent tôt fait de ramener un public pour cette oeuvre impromptue, qui se demande comment un homme de tel taille à réussit à entrer dans cette maison.

BILL VIOLA Chapel of Frustrated Actions and Futile Gestures, 2013 Nine channels of colour High-Definition video on a 3 x 3 grid of plasma displays

 The Amazing Colossal Man, 1974, vidéo noir et blanc, installation sonore, événement d'une nuit d'août 1974 à Syracuse (USA)


Comme dans les installations et environnements présentées un peu plus haut, les portes sont aussi un moyen de couper un espace immersif du reste de l'exposition, de créer une surprise ou d'aménager un peu d'intimité. C'est le cas dans The sleep of reason (1988) qui recrée un espace domestique, ou dans l'installation sonore He weeps for you (1976).





Le cas de l'environnement vidéo Going Forth by Day (2002), inspiré par le livre des morts égyptien, est assez interessant à analyser. On remarque que la pièce comporte cinq projections, d'une une sur le mur ou se trouve le passage du spectateur, et qui présente du feu en gros plan. La symbolique est simple et efficace. On entre symboliquement dans la demeure d'Anubis mais aussi dans ce que Daniel Arasse appelle un lieu de peinture (au sens large). Par ailleurs deux panneaux intégrent dans l'image la présence de portes.
Dans la vidéo le déluge (thème biblique où Dieu punit les Hommes par l'eau), le cataclysme, la vague, vient étrangement de l'intérieur de la maison, construction symbolisant l'humain et le progrès. Comme si les dérèglement climatiques qui détruisent des villes entière ne viendrait que de nous même.
Dans le voyage, nous voyons l'intérieur d'une maison comme on on trouve dans les peinture du Quattrocento italien. Il y a une homme devant la porte, à l'intérieur un couple veille un mourant. Un peu plus bas des hommes chargent des meubles dans un bateaux prêt à partir.  Etrangement nous savons ce qu'il va se passer dans la maison, un homme va mourir, mais nous ne savons pas vers quelle destination va le bateau. Une maison, même s'il est un espace clos, est un lieu famillier où l'on vit et meurt, quand le bateau exprime l'inconnu et l'incertain.


Vue de l'installation vidéo Going Forth by Day, 2002, cinq projections HD couleur

Bill Viola, Going Forth By Day, 2002, “The Deluge” Video/sound installation. A five-part projected image cycle / Photo: Kira Perov
Bill Viola, Going Forth By Day (Detail), The Voyage, 2002, (c) Deutsche Guggenheim, Berlin/ Bill Viola 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire