Histoire des Arts : La ville
La ville en guerre ? Le terrorisme au XXème
siècle
Les artistes et le 11 septembre
Photographie de l'agence de presse Reuters |
Le matin du 11 septembre 2001 percèrent dans le ciel
clair de Manhattan deux avions de ligne, qui à quinze minutes de distance
vinrent chacun s’enfoncer dans l’une des tours jumelles du World Trade
Center, symbole iconique de la puissance économique et culturelle des
Etats-Unis. Quelques instants plus tard, un troisième avion s'abattait sur le
Pentagone, à Washington D.C., tandis qu’un quatrième appareil, qui devait
également être détourné vers la capitale américaine, s’écrasait dans une mine à
ciel ouvert de Pennsylvanie.
Plus que toutes, ce sont les images des Twin Towers, percutées par les avions,
puis s’effondrant dans un fracas de cendres et de poussières indescriptible,
qui marquèrent les esprits. C’est dans la presse, notamment à la télévision et
sur Internet, qu’elles apparurent très rapidement, « 9/11 » devenant
le premier événement historique vécu en temps réel à une telle échelle, par des
millions de spectateurs incrédules.
Art Spiegelman, 9/11/0, dessin pour la couverture du New Yorker
|
Chacun se souvient de cette journée du 11 septembre 2001, où
il était et ce qu'il faisait au moment où il a vu ces images inconcevables d'avions
de ligne pénétrant le ciel d'azur de Manhattan pour venir s'enfoncer dans les
tours jumelles. Images inaugurales d'une décennie de paranoïa généralisée qui,
avec la mort d'Oussama Ben Laden et une crise
financière qui détourne les gouvernements de guerres inutiles, semble être en
train de se clore. Les artistes plasticiens, sensibles plus que tout autres aux
images, se sont emparés du sujet, pour tenter de comprendre ce que beaucoup
n'ont pu croire de leurs yeux lors de ce fameux 9/11.
C'est tout naturellement dans la presse que les premières
images de la tragédie sont apparues. L'artiste Hans-Peter Feldmann a
réuni les unes des numéros des principaux titres de la presse internationale
datés du 12 septembre. Une image du jour d'après qui, répétée à l'infini, forme
une sorte de wallpaper de la catastrophe.
Hans-Peter Feldmann, 9/12, installation, vue de l'exposition au Museo Reina Sofia, Madrid, 2010. |
Témoignage ultime d'un
angle de vue désormais disparu, cette photographie a été prise en 2001 du haut
des tours jumelles du World Trade Center, à quelques mois des attentats.
Elle permet au spectateur de procéder à un vertigineux transfert, en adoptant
le point de vue des victimes présentes dans les tours au moment du crash.
Alain Declercq, Mike on the top of the |
Le photographe Olivier
Culmann, du collectif Tendance Floue, a choisi de représenter le « hors
champ de la catastrophe ». « J'ai volontairement tourné le dos au lieu de
l'attentat, explique-t-il, pour observer ceux qui s'en approchaient. Figés,
hébétés, puis passants, furtifs, spectateurs de quelques secondes : les Américains
portaient sur leurs visages les abyssales interrogations apparues avec la
destruction. »
Olivier Culmann, Autour, 2001-2002.
|
Frances Torres a photographié les débris métalliques du
World Trade Center, qui sont toujours conservés dans le Hangar 17 de l'aéroport
JFK de New York. Ces formes torturées représentent, selon le photographe, des «
substituts symboliques des victimes ».
Joel Meyerowitz
fut le seul photographe accrédité auquel il fut permis de pénétrer à Ground
Zero dans les heures qui suivirent les attentats. Les images apocalyptiques
qu'il en rapporta, et qui constituent la série Aftermath évoquent une
atmosphère irréelle, propre au cinéma de science-fiction.
Joel Meyerowitz, The |
Dix ans après le 11 septembre 2001, on se rend compte que
peu d’artistes, finalement, auront osé s’engager sur le terrain glissant de la
réaction directe à un événement qui a pourtant en grande partie défini la
décennie 2000. Sans doute parce qu’il conserve une inquiétante étrangeté et
semble encore aujourd’hui irréel, « 9/11 » est une matière vive qui
reste difficilement préhensible par les artistes.
Joel Meyerowitz |
Parmi les
artistes de confession musulmane, les réactions ont été diverses. "Certains n'ont pas du tout eu envie de rentrer dans
ce débat-là. D'autres qui, par ce que j'appelle 'l'orientalisme intériorisé',
ont un peu sauté sur ce créneau. D'autres encore disent qu'ils ne travaillaient
pas sur ces questions mais qu'il y a eu comme une assignation à s'y intéresser :
'ils sont musulmans donc ils connaissent mieux le sujet que les autres, ils
peuvent nous éclairer là-dessus'",
explique Véronique Rieffel.
"Beaucoup d'artistes se sont ainsi découverts
'artistes musulmans' après le 11-septembre",
poursuit-elle. A l'instar de l'artiste marocain Mounir Fatmi. "Il appartient à cette catégorie d'artistes
globalisés, qui ont des identités mouvantes. A Paris, il était considéré comme
un artiste arabe ; aux Etats-Unis où il est beaucoup exposé, il était considéré
comme un artiste de la jeune scène française et depuis le 11-septembre, il est
considéré comme un artiste musulman un peu partout",
poursuit-elle. Pourtant, comme elle le développe dans son ouvrage Islamania (éditions Beaux Arts, 2011), "on ne peut pas véritablement parler d'artiste
musulman aujourd'hui, mais d'artistes qui sont avant tout des artistes
contemporains, se nourrissant de leur rapport au monde et des perceptions dont ils
sont l'objet".
L’artiste Mounir Fatmi |
Le projet Save
Manhattan est une réflexion sur les attentats du 11 septembre 2001.
Il se compose de trois éléments distincts, Save Manhattan 01, Save
Manhattan 02 et la version finale de Save Manhattan 03,
présentée pour la première fois lors de la biennale de Venise 2007. Save
Manhattan 01, 2003-04, était construite avec de nombreux livres écrits
suite aux événements du 11 septembre, à l’exception de deux exemplaires du
Coran. Les livres étaient disposés sur une table de façon à ce que leur ombre
projetée sur le mur dessine la ligne d’horizon de Manhattan telle qu’elle était
avant le 11 septembre. Les deux exemplaires du Coran recréent ainsi l’image
spectrale des tours jumelles.
En 2005, Mounir
Fatmi a réalisé Save Manhattan 02. Cette installation se
compose de cassettes VHS empilées sur une plate-forme posée à même le sol. Les
cassettes VHS, un élément récurrent dans l’œuvre de l’artiste, sont également
disposées de manière à rappeler l’horizon de Manhattan avant la tragédie, même
si cette installation ne comporte pas d’ombre portée. Save Manhattan 02 est une
structure dépouillée en noir et blanc. On peut voir dans l’utilisation les
cassettes une réflexion sur la frénésie des médias et la dureté des images
diffusées en boucle après les événements. Cette œuvre cherche pourtant à commémorer
l’attitude des médias et à évoquer les moments de silence entourant le chaos,
amplifié par l’action des chaînes de télévision et les journaux du monde
entier.
Save Manathan 02 |
Save Manhattan 03,
Architecture Sonore est l’élément final de cet ensemble. Alors que les deux
premières versions utilisaient livres et cassettes VHS, cette installation
utilise le son comme élément essentiel à travers quatre-vingt-dix haut-parleurs
de tailles et de formes différentes disposés sur le sol. Ce concert de bruits
provient de sons réels qui reflètent le brouhaha de la vie urbaine : des
klaxons, des crissements de pneus, le métro, des accidents de circulation mais
aussi de sons fictifs car extraits de films d’action hollywoodiens. Ces sons
synchronisés sont divisés en trois boucles sonores qui correspondent alors à
l’architecture des haut-parleurs. Cette œuvre donne une image forte de la ville
de New York, présentée comme un corps qui vit, qui respire, qui souffre et qui
est capable de résister même aux événements les plus catastrophiques.
En toile de fond, on
retrouve une réflexion sur l'architecture chère à l'artiste. "J'ai
toujours dit que l'architecture était fragile, plus fragile que nous. Avec la
chute des tours, les gens ont compris que l'architecture ne nous protège pas.
Plus c'est haut, plus c'est dangereux. Plus elle est politique, plus elle est
grande et brillante et plus elle devient politique et dangereuse."
En 2003, personne
ne veut montrer Save Manhattan. "Il n'y avait pas assez de recul, la situation
politique était encore brûlante avec l'Afghanistan, l'Irak, donc on n'arrivait pas à accepter un tel
travail. Personne ne comprenait pourquoi je le faisais. Tout le monde jugeait
en même temps et l'artiste et la pièce", se rappelle-t-il.
C'est au Centre contemporain Le Parvis que l'œuvre
est pour la première fois montrée en 2004. La pièce a mis du temps à trouver
son public. Puis, le public a évolué avec la pièce. "Quelques années après, les gens ont découvert qu'il
y avait une scène intellectuelle au Maghreb et dans le monde arabe, également
touchée par le terrorisme. Cela a forcé la curiosité."
Source :
Magali
Lesauvage pour http://fluctuat.premiere.fr/
et http://www.exponaute.com/
Hélène Sallon
« Etre artiste et musulman après le 11-septembre » article du monde du 11.09.2011
http://www.mounirfatmi.com/ Site de l’artiste
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