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Jules Romain, La salle des géants du palazzo Té, 1534, fresque |
"La salle la plus remarquable du palais Té est la Salle de Géants : un grand espace voûté « qui ressemble à un four », selon Vasari, avec des angles émoussés, peint sans rupture du sommet de la voûte jusqu’au pavement initialement constitué de galets de rivière disposés « en couteau ». Ici est racontée la punition que Jupiter infligea aux géants qui avaient osé s’opposer à son pouvoir et tenté de porter leur défi jusqu’au ciel. Du sommet de l’Olympe, entouré par tout le panthéon de divinités païennes, dont la plupart sont figées par l’effroi, le père des dieux répond à l’affront en lançant ses foudres sur la terre et en frappant les géants dans leur maladroite tentative d’ascension. Avec leurs corps démesurés et musculeux, leurs visages grotesques et désespérés, les géants s’efforcent de résister ou d’échapper au grandiose écroulement de rochers et d’éléments d’architecture imaginés par Jules Romain. Vasari décrit avec force détails la Salle des Géants « sur lesquels tombent des temples, des colonnes et d’autres morceaux de murailles, faisant un considérable massacre parmi ses orgueilleux », évoquant l’impression ressentie par le spectateur devant la cheminée « qui montre, quand on y met le feu, que les géants brûlent »."
Dès le milieu de la Renaissance, les fresques prennent une dimension illusionniste avec des jeux d'échelles qui permettent au spectateur de s'y sentir intégré, quelque soit les dimensions de la pièce. On retrouve cela dans la chapelle Sixtine peinte par
Michel-Ange, dans le réfectoire du couvent de Santa Maria Dellle Grazie à Milan ou
Léonard De Vinci peint la Cène, dans la chambre de époux de
Mantegna à Mantoue et bien sûre avec
Veronèse dans la Villa Barbaro à Maser.
Daniel Arasse évoque souvent le vertige que provoque la rencontre avec ces
lieux de peinture.
Ici le spectateur voit le décor factice s'écouler sur lui alors qu'il est pris dans le tourbillon du plafond et du sol.
Mais ce qui s'écroule sous nos yeux, c'est la peinture classique de la Renaissance, avec ses grands maîtres qui sont déjà des divinités inégalables (Ceux là même que nous avons cité plus haut). Car
Jules Romain, ainsi que les autres peintres du maniérisme, voient dans la quête de perfection scientifique de la peinture de leurs prédécesseurs, une impasse sans but.
Les maniéristes cherchent à libérer la forme humaine du carcan de la proposition antique pour créer des formes plus expressives.
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Carsten Höller, Killing Children III. Installationsbild från utställningen Moment – Ynglingagatan 1, 1994 © Carsten Höller. Foto: Åsa Lundén / Moderna Museet |
Faisons un saut dans le temps avec cette oeuvre de
Carsten Höller de 1994. Si la mise en oeuvre est beaucoup plus simple, il est aussi question ici d'attraper le spectateur. Si on en crois le titre, cette oeuvre d'art est un piège pour électrocuter les enfants.
Avec humour
Carsten Höller nous suggère qu'une oeuvre d'Art n'est rien si il n'y a pas spectateur pour la regarder (ou l'utiliser).
Marcel Duchamp disait bien avant lui que si il n'y avait pas de regardeur il n'y aurait pas d'Art.
Ce travail peut aussi faire écho à une oeuvre beaucoup plus dangereuse (potentiellement) de
Giovanni Anselmo ou deux câbles haute tension, l'un positif et l'autre négatif, sont posés sur une pierre à quelques centimètre l'un de l'autre. Il suffit d'entrer en contacte avec les deux câbles et c'est la mort assuré.
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Ann Veronica Janssens, MA-i, 2000
Brouillard artificiel coloré, Festival de danse, Tours © Ann Veronica Janssens
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Avec ses oeuvres immatérielles,
Ann Veronica Janssens fait office de trait d'union entre les deux oeuvres précédentes.
Le spectateur est invité à entrer dans une salle remplie de brouillard artificiel coloré empêchant toute vision à plus de 50 cm, dans laquelle il doit chercher la sortie, au risque de s'y perdre.
Plongée dans la couleur pure, le spectateur est en perte de repère spacio-temporelle. Il est pris au piège dans cette expérience sensorielle et artistique.
Car c'est bien le point commun de ces trois oeuvres: impliquer le spectateur, l'utiliser et le manipuler pour le prendre au piège et l'intégrer à l'oeuvre contre son grès, ainsi que font les plantes carnivores...
Il faudrait alors réfléchir si c'est le spectateur qui vient consommer de l'Art dans les musées ou si ce sont les oeuvres qui se nourrissent des spectateurs...
Plus d'info sur le maniérisme sur ce site très complet
http://www.le-manierisme.com/
Plus d'oeuvre de
Carsten Höller ici et d'
Ann Veronica Janssens ici