jeudi 11 décembre 2025

Le Point eco: Importance des ports dans les enjeux économiques du XVIIième siècle

Au XVIIe siècle, les ports européens deviennent des lieux stratégiques, véritables pivots de la puissance économique et politique des États. En France, sous le règne de Louis XIV, les ports comme Bordeaux, Nantes, Marseille ou Le Havre jouent un rôle central dans le développement du commerce maritime, de la colonisation et de la rivalité entre les nations.

Le commerce maritime s’intensifie avec l’essor des compagnies des Indes (créées en 1664 pour l’Orient et en 1664 pour l’Occident et dans laquelle Joseph Vernet va investir), qui organisent le transport de marchandises précieuses : épices, soieries, sucre, tabac, mais aussi esclaves dans le cadre de la traite négrière. Les ports sont ainsi des interfaces entre l’Europe et le reste du monde, générant d’immenses richesses pour les royaumes et les marchands.

La construction navale se développe, stimulée par les guerres et la course aux colonies. Les arsenaux, comme celui de Toulon ou de Brest, deviennent des symboles de la puissance militaire et économique de la France. Les ports sont aussi des lieux d’innovation technique et financière, avec l’émergence de nouvelles formes de crédit et d’assurance maritime.

Enfin, les ports sont des vitrines du pouvoir royal. Louis XIV et son ministre Colbert comprennent que maîtriser les mers, c’est dominer l’économie mondiale. Les ports deviennent des espaces de contrôle, de taxation, et de rayonnement culturel, attirant artistes, artisans et savants.

Au XVIIIe siècle, Joseph Vernet (1714-1789) est chargé par Louis XV de réaliser une série de tableaux représentant les principaux ports de France. Ces œuvres, à la fois documentaires et idéalisées, ne se contentent pas de décrire des paysages : elles célèbrent la puissance maritime et économique du royaume.

Les Ports de France sont une commande officielle royale à visée propagandiste, destinée à montrer la modernité et la prospérité des infrastructures portuaires. Vernet met en scène des ports animés, des navires imposants, des architectures monumentales, et une nature maîtrisée. Chaque détail – des grues aux entrepôts, des docks aux phares – souligne l’efficacité et la richesse du commerce maritime.

Vernet utilise la lumière, les contrastes et la composition pour créer une impression de dynamisme et d’abondance. Les ciels dramatiques, les reflets sur l’eau, les scènes de déchargement de marchandises, tout concourt à donner une image de vitalité économique. C'est une esthétique au service de l’économie.



Pour aller plus loin (sujets possible de grand Oral) : 

En quoi ces tableaux peuvent-ils être considérés comme des « paysages économiques » ? 

Comment l’art peut-il servir à la fois de témoignage historique et d’outil de propagande ?


Bibliographie sélective:

Ouvrages sur l’économie et les ports au XVIIe siècle

  • Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Armand Colin, 1949. Un classique pour comprendre le rôle des ports dans les échanges méditerranéens et atlantiques.
  • Meyer, Jean, Colbert, Hachette, 1981. Analyse la politique économique de Colbert et le développement des ports sous Louis XIV.
  • Butel, Paul, Les négoces maritimes français au XVIIIe siècle, SEVPEN, 1974. Étude sur le commerce maritime et l’importance des ports dans l’économie française.

Documentaires

  • « Les Routes de l’impossible : Les grands ports du monde » (Arte, 2018) Épisode consacré à l’histoire des ports et leur rôle dans l’économie mondiale, avec des archives et des reconstitutions.
  • « Versailles, le rêve d’un roi » (France 5, 2017) Évoque la politique économique de Louis XIV, dont le développement des ports et des compagnies maritimes.

Brève histoire du port de Toulon (1471-1757)

 

La première représentation du blasonnement
actuel aux couleurs de la ville remonte à 1494

Toulon, qui tire ses richesse de la mer (sel et poisson) fût une ville romaine, érigée en évêché en 451. En 1471 la ville n’a pas plus de deux mille habitants. C’est à cette période que le comté de Provence est rattaché à la couronne de France et que les Valois, puis les Bourbons en feront un grand port de guerre. Marseille de son côté développe d’avantage le commerce. Toulon, né avec Charles VIII, devellopé par François 1er et Henri IV est donc un port développé par les rois de France, un port royal.  

C’est avec Louis XIV que se développe le port militaire, qui devient le siège d’une intendance de la marine dès 1659. Les toulonnais y seront nombreux à exercer des fonctions militaires (le commandant Louis de Martini d’Orves, le chef d’escadre Beaussier de L’Isle) et certains figurent en bonne place sur les trois toiles de Joseph Vernet.


Jean MaugerLouis XIV, le port de Toulon, 1680 Paris
(Source inumis)


On peux situer la naissance d’une « ville arsenal » autour de 1610 avec la vocation de construction et de réparation de navires. Le choix en a été fait grâce a son grand tirant d’eau et des différents forts stratégiques qui protègent sa darse, dont la tour royale et le fort Balaguier qui en protège l’entrée et qui sont visible net sur le tableau de Vernet. Ces aménagements doivent beaucoup à Richelieu, Mazarin puis à Colbert.

La tour royale

Fort Balaguier

La présence du Mont Faron, barre rocheuse culminant à 584 mètres, permet aussi une protection de la cité coté terre. C'est de ces hauteurs que Vernet peindra la vue générale de la rade, illustrant sa topologie stratégique.

Henri Pertus, Le Faron, 1962
sérigraphie format raisin

Sous Louis XIV c’est Mazarin qui prend en main le chantier toulonnais, y faisant travailler des sculpteurs locaux comme Nicolas Levray ou les frères Puget (Gaspard l'architecte et Pierre l’artiste) qui orne les monuments, fontaines et vaisseaux de lignes.

Pierre Puget (1620–1694) est un sculpteur, peintre et architecte français, figure majeure de l’art baroque en France. Originaire de Marseille, il a marqué l’histoire de l’art par ses œuvres dynamiques et expressives, comme Milon de Crotone ou Persée et Andromède. Puget a travaillé à Toulon, notamment sur la décoration du port et de l’arsenal, où il a réalisé des sculptures monumentales pour glorifier la puissance navale de Louis XIV. Son héritage artistique reste étroitement lié à la région, illustrant le lien entre art et pouvoir à l’époque classique.

Pierre Puget, Milon de Crotone, 1671
musée du Louvre

C’est Pierre Puget qui réalise en 1654 les atlantes qui orne l’hôtel de ville construit en 1610 et qu’on retrouve dans le roman les Misérables de Victoire Hugo. Il réalise aussi le dessin du portail et le buste du roi qui se trouve à l’intérieur, qui sera détruit à la Revolution. La ville fourmille de fontaine, afin d’éviter la propagation des maladie comme la peste dues au mouvement de population, dont celle des trois dauphins de 1626 est toujours en place à l’actuelle place Puget. C’est probablement pourquoi Joseph Vernet à placé une fontaine de style classique dans sa vue de la rade.

M. A. Lachevardillustration de cariatides à l'hôtel de ville de Toulon, par Puget, 19ème siècle 

publiés dans le magasin Pittoresque 



A la mort de Mazarin, Colbert fait de Toulon une place de guerre, porte d’entrée du royaume et pôle militaire d’importance et réalise des travaux sur des plan de Gaspard Puget. En 1669 Colbert renforce les infrastructures de la ville. Une ordonnance royale interdit la vente des arbres portant le poinçon aux armes du roi surmontant une ancre, ce bois étant sélectionné pour la construction navale. A Paris, des artistes pensent la décorations des projets navaux, Charles Le Brun, puis plus tard Jean Berain.  Les sculptures décorants les vaisseaux sont confiés à Pierre Puget à qui succéderont entre autre ses élèves Christophe Veyrier, Bernard Turreau (dit Toro), Antoine-François Vassé, Lange Maucor (ou Jean Ange Maucord) et Antoine Gibert, ces trois derniers étant contemporains de Joseph Vernet. Une « école de Puget » prend naissance à Toulon sous la direction du sculpteur après son voyage à Gênes et quartantes sculpteurs y travaillent aux figures de proue et aux balcons des châteaux arrières de vaisseaux comme le Provençal, qui sera construit entre 1666 et 1667. Jean-Baptiste De La Rose dirige lui l’atelier de peinture.

Antoine Gibert, Cariatide de poupe, sirène, fin 18ième
Musée National de la Marine

Jean-Baptiste De La Rose, Atelier de carenage à Toulon, 18ième


En 1669, l’architecte militaire royal Vauban visite Toulon et fait des propositions de projets. Pour l’architecte « la rade de Toulon est la plus belle et la plus excellente de la Méditerranée, de l’aveu de toutes les nations ». Il reprend la darcène, que Jean-Baptiste de la Rose représente en ruine dans sa vue de Toulon de 1669 et la Tour Balaguier que l’on peux voire dans le tableau de Vernet et qui est aujourd’hui un musée. Victor Hugo portera aussi un avis semblable sur le port. « Le port de Toulon est peut-être, après celui de Brest, le plus beau port de France. […] C’est là que sont amarrés les vaisseaux de l’État qui portent les forçats. » (Les Misérables, Livre deuxième, La Chute, partie Fantine)

Sebastien Vauban, Plan de Toulon


1748 est un tournant important pour la ville car le bagne s’y installe et les galères disséminé en Méditerranée, notamment à Marseille, sont rassemblée dans le port. La vie des forçats sera bien décrite dans le roman Les Misérables de Victoire Hugo en 1862. Les bagnards enchainés, sont visibles dans l’une des trois vues de Toulon de Vernet. « Toulon est le lieu des condamnations à perpétuité. C’est là que se trouve le bagne, ce mot sinistre qui semble fait avec un souffle de l’enfer. » (Livre deuxième, La Chute, partie Fantine). 

Un  passage célèbre du livre évoque d’ailleurs les sculptures de Puget: 

" Un détail que nous ne devons pas omettre, c’est qu’il était d’une force physique dont n’approchait pas un des habitants du bagne. À la fatigue, pour filer un câble, pour virer un cabestan, Jean Valjean valait quatre hommes. Il soulevait et soutenait parfois d’énormes poids sur son dos, et remplaçait dans l’occasion cet instrument qu’on appelle cric et qu’on appelait jadis orgueil, d’où a pris nom, soit dit en passant, la rue Montorgueil près des halles de Paris. Ses camarades l’avaient surnommé Jean-le-Cric. Une fois, comme on réparait le balcon de l’hôtel de ville de Toulon, une des admirables cariatides de Puget qui soutiennent ce balcon se descella et faillit tomber. Jean Valjean, qui se trouvait là, soutint de l’épaule la cariatide et donna le temps aux ouvriers d’arriver. "

Les Misérables (Livre deuxième, La Chute, partie Fantine


Emile Bayard, Illustration pour les Misérables, 1862

 

Dans son livre Toulon Port Royal, Michel Vergé-Franceschi évoque la ville au dix-huitième siècle: « Jusqu’en 1755, date de l’arrivée de Vernet, Toulon ne change guère. Le forçats travaillent: le port comptant deux milles galériens et esclaves « turcs », on construit pour eux à partir de 1751 un cimetière au Mourillon, car ils étaient alors inhumés dans un coin de l’ancien cimetière Sainte-Croix. (…) De ce Toulon de l’entre-deux-guerre, on a une vue précise. D’une part grâce au Répertoire  des maisons du port par rue avec nom de l’habitant ou du propriétaire (1754), d’autre part grâce aux trois tableaux réalisés par Vernet en 1755-1756. Toulon en 1754 compte soixante-dix-huit rues « très impraticables » disait-on en 1731. Elles sont bordées par un peu plus de deux mille maisons d’environs dix toises chacune (= moins de 20 mètres), comptant en gros une dizaine de personnes. Toutes sont rassemblées à partir de la cathédrale que Duparc (Albert) à orné d’une belle facade en 1696 (…) »

Vernet quitte Toulon au début de la guerre de sept ans (1756-1763), premier conflit mondiale qui fait suite à la guerre de succession d’Autriche. C’est une période dense en activité militaire et les chantiers navals toulonnais sont à plein régime.  

Joseph VernetL'arsenal de Toulon dans l'angle du parc d'artillerie, 1755
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre

« Toulon en 1754 oppose le bleu de la Méditerranée aux verdures environnantes: verdure des prairies des zones marécageuses du débouché de l’Eygoutier ou du Las, là où chevaux, ânes et mulets se ravitaillent en herbe; ; verdures des pentes du Faron où dominent les chênes kermès qui permettent la récolte des cochenilles dans les « vermeillères » du Faron et alimentent les teintureries. Toulon est une ville artisanale: dès 1450, existait au port au moins une savonnerie, faubourg du Portalet. (…) Dès 1620; Toulon possède des fabriques: fabriques de chapeaux, manufactures de drap, métiers pour la bonneterie, teintureries pour la laine et la soie, manufacture de cotonnades pour la toile à voile. » (Toulon Port Royal)

Joseph VernetLa ville et la rade de Toulon, 1756
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre

C’est ce contexte de bourgeoisie commerçante ou paysanne et de petite ou fausse noblesse provinciale qui est immortalisé dans La ville et la rade de Toulon de Joseph Vernet avec sa « partie de plaisirs » qui occupe le premier plan et qui sera présenté au Salon de Paris en 1757 au coté des deux autres vues de l’intérieur du port qui présente d’avantage l’activité économique et militaire du port. Vision idéalisé et mise en scène comme l’écrit Michel Vergé-Franceschi : 

« On y voit les officiers du grand corps vêtus de rouge, avec leurs manches relevées de galons d’or, leur cordon rouge de Saint-Louis ou leur croix de Malte. Les femmes sont présentes, surtout celles de la haute société, dans leurs robes de soie décorées de dentelles et protégées de fines ombrelles. Vernet oppose dans ces toiles le monde des ouvriers et celui des élites. Ses élégantes visitent le parc d’artillerie au milieu de la sueur des ouvriers en train d’Alésia un canon de fer ou de nettoyer l’âme d’un autre. Vernet à « photographié » les bombardiers à l’exercice comme les officiers en visite dans une bastide du Faron. Sa peinture transforme Toulon en jardin Versaillais. (…) La clareté du ciel et la limidité de la mer font un peu trop oublier que Toulon ne sent pas seulement la fleur d’oranger. Les odeurs de peinture et de goudron chaud, la chauffe des coques à restaurer et les jointures des coques à boucher imposent au port des odeurs estivales que la fleur d’oranger domine mal lorsque les mouches tournent autour des seilles qui regorgent d’ordures à l’angle de chaque rue, tas d’immondices et d’excréments que les orages conduisent à la darse. Vernet offre de Toulon une vision paradisiaque qui ne correspond guère à ce qu’était un port ravagé par la peste et ou le seul tombereau d’ordure quotidien en 1782 ne pouvait assurer une quelconque propreté. Vernet, peintre de l’effort réalisé sans transpiration et avec le sourire, nous peint des quartiers de viande déposés à même le quai sous l’œil d’une officier de plume de façon telle que nous admirons son uniforme, sa canne, ses escarpins et sa perruque poudrée sans être effrayés par le manque d’hygiène de la scène, un chien reniflant la viande exposée par terre à une température de 30*C ! Lorsqu’il quitte Toulon début juillet 1756, Vernet a fixé cette idyllique vision du port et y a assisté au triomphe de l’escadre toulonnaise de la Galissonnière qui vient de s’emparer de Minorque »

Joseph VernetLe port vieux  de Toulon, 1757
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre

La critique acerbe de Michel Vergé-Franceschi est celle d'un historien qui cherche l'histoire dans l'Art. Pour Florence Ingersoll-Smouse, historienne de l'Art, la vue de la rade depuis le Mont-Faron, "adorable scène de genre", est le meilleur tableau de toute la série des ports.

Joseph Vernet quitte Toulon au début de la guerre de sept ans.

Léon Morel-Fatio, Le Port de Toulon, 1810






vendredi 5 décembre 2025

Jeu point bonus du 05 au 12 décembre

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Qui est cette personne, représentée dans la nouvelle exposition de l'artiste pochoiriste C215 à l'espai Caldes (lien vers l'info) ?




vendredi 28 novembre 2025

Jeu point bonus du 28 Novembre au 05 décembre

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De quelle année date la première photographie d'Andorre connue présentée à la salle d'exposition du Govern au Parc Central (lien vers l'info) ?



vendredi 21 novembre 2025

Joseph Vernet, Vie et Oeuvre

 Joseph Vernet (1714-1789) s'est illustré comme peintre de marine, devenant une référence du genre en Europe.


Elisabeth Vigée-Le Brun, Portrait de Joseph Vernet, 1778


Avant Vernet, la peinture de marine est un genre pictural qui se développe doucement au XVII, principalement en Europe du Nord, avec des peintre comme Hendrick Cornelis Vroom, Willem Van de Velde, ou Lodolf Backhuysen, maître hollandais de la tempête. 


Cornelis Vroom. Paysage fluvial avec ruines romaines imaginaires (1621-31)
Huile sur bois, 29,5 × 60 cm, Frans Hals Museum, Haarlem.


Willem Van De Velde, La rafale, 1680


En Italie ou Vernet va passer une vingtaine d'année et connaître la célébrité, il faut attendre le XVIIIième siècle de Venise avec Canaletto, Belotto (Vue de Verone) et Guardi. Mais à Rome déja, les frères Bril ou Claude Gellée avaient posées quelques jalons du genre. Aux côtés de Gellée à Rome il faut citer Salvator Rosa qui influencera beaucoup le jeune Vernet à son arrivée dans la capitale Italienne.
La tradition romaine de peinture de Marine se poursuit avec avec Adrien Manglard, peintre de peu de renom qui continue la tradition des Bril et Poussin et qui sera le maître de Vernet.

Fransesco Guardi, Le Doge sur le Bucentaure, 1780


Claude Gellée, dit Le Lorrain, le débarquement de Cléopatre à Tarse, 1642


Salvator Rosa, Harbourg, 1641


Adrien Manglard, Marine, Non datée


Claude-Joseph Vernet né en Avignon (France), le 14 Aout 1714, d'Antoine Vernet, modeste peintre de chaises à porteur et décorateur et dont plusieurs des sept enfants suivront la profession paternelle.
Après l'apprentissage paternel, il continue sa formation à Aix en Provence en 1731 chez Jacques Vialy, peintre décorateur, et peut-être chez JB De La Rose, longtemps directeur de peinture à l'Arsenal de Toulon où il commence déjà à se spécialiser dans les paysages de marines.
En 1932 il est à Rome où il ne peux entrer à l'académie de France au palais Mancini, à cette époque moribonde (Subleyras), car il est simple peintre de paysage mais fréquente les artistes et entre dans l'atelier d'Adrien Manglard, ce qui sera décisif pour l'évolution de son style. En 1737 il voyage à Naples mais ces années d'apprentissage ont surement été très dur financièrement si l'on en croit ses livres de comptes.
Mais le succès et les commande viennent rapidement avec des tableaux de qualités, comme les vues de Naples, le Ponto Rotto ou le Brouillard du matin
Le 22 Novembre 1745, il épouse à 31 ans Virginia Parker, fille d'un capitaine du Pape irlandais réfugié à Rome, Marc Parker. Ils auront quatre enfants dont certains seront liés aux métiers d'Art.
C'est une période faste, tant sur le plan des ventes que de la vie culturelle. Son chef-d'oeuvre Tivoli annonce déjà le style d'Hubert Robert:

Joseph Vernet, Ponto Rotto à Rome, 1745
Musée du Louvre

Joseph Vernet, Vue du golf de Naples, 1748
Musée du Louvre-Lens


Joseph Vernet, Brouillard le matin


Louis Michel Van Loo, Portrait de Virginia Vernet Parker, 1767
Institut Calvet


Joseph Vernet, Tivoli, 1748
Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris



Il obtient aussi un grand succès à cette époque avec ses scène de naufrage. Dans sa biographie de Vernet de 1926, Florence Ingersoll-Smouse est assez critique avec ce sujet qu'il déclinera tout au long de sa vie:
" (...) avec ses naufrages on aborde la partie de son oeuvre dont la valeur artistique est la plus discutable, mais dont l'importance historique est très grande. Si tout l'Art de Vernet, et son énorme popularité au XVIII ième siècle, s'explique par le mouvement des idées du temps, et en particulier par le retour à la nature dont Rousseau allait se faire l'apôtre, ceci est surtout vrai de ses naufrages dont la portion raffinée du public raffolait. 
En effet cette partie de l'Art de Vernet constitue une des manifestation les plus significative de cette sensiblerie qui caractérise la seconde moitié du XVIII ième siècle français et anglais. Ses naufragés aux gestes convenus, ses femmes évanouies (...), ses vieillards à genoux, lui donne une place peu enviable à côté de Greuze, le peintre de la sentimentalité bourgeoise par excellence.
Il ne semble pas que cette tendance à l'affadissement soit le fait de Vernet, mais qu'elle lui fut plutôt imposé."
C'est vraisemblablement l'engouement du public et des critiques, dont Diderot qui deviendra son ami à Paris, qui l'incite à produire une grande quantité de tableaux sur ce thème, s'auto-parodiant lui-même dans les dernières années de sa vie.

Joseph Vernet, Naufrage, 1759


C'est à partir de 1751 qu'il fait plusieurs séjours en France, à Marseille notamment, pour préparer un retour contre son grès dans un pays qui ne l'attends pas spécialement ; Son beaux-père étant inquiété par l'inquisition, il doit quitter l'Italie, ainsi que sa famille.
C'est en octobre 1753 que le Marquis de Marigny, Abel Poisson, lui obtient une commande pour le Roi de France Louis XV, dit le bien-aimé, de vingt-quatre (ou douze selon les sources) vues des grands ports du Pays. Le Marquis de Marigny, frère de madame de Pompadour, remplit les fonctions de surintendant des bâtiments de 1751 à 1773. 
La commande consiste en un itinéraire précis, des vues topographiques précises et définies à l'avance sur des toiles au format arrêtées (1,63 x 2,63 m).

L'itinéraire commence à Marseille, port de commerce le plus important de la côte méditerranéenne, où il reste presque un an pour s'acquitter de sa tâche.
Il en réalise deux vues, l'une intérieur et l'autre extérieur. La seconde est interessante car on y voit le peintre, accompagné de sa famille, en train de dessiner le plus vieil habitant de Marseille, Annibal Camoux, soit disant centenaire. On y trouve ce qui fera la succès de cette série de tableau au cadre bien ingrat, à savoir l'alliance de la précision topographique à la documentation presque sociologique de son époque, avec ses métiers, sa mode, ses jeux, ses loisirs, son architecture...

Joseph Vernet, l'interieur du port de Marseille, vue du pavillon de l'horloge du parc, 1754
Huile sur toile, 1,63 x 2,63m Louvre

Joseph VernetEntrée du port de Marseille, 1754
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre



 Après un passage par Bandol où il peint la pêche au thon qui lui à été demandée sur l'itinéraire, il se dirige vers la ville toute proche de Toulon.
Si Bandol, grâce à l'île de Bendor, ou Hyères, ont longtemps été des concurrents possible à l'établissement d'un port militaire s'est Toulon, port de guerre depuis Charles VIII (XVième siècle), c'est avec Colbert au XVIIième siècle sous Louis XIV que la ville prends un place véritablement stratégique dans la marine militaire française, grâce à la forme de sa darse et à son grand tirant d'eau.
Sur la pêche au thon il faut souligner que Vernet, ayant un peu de liberté, s'amuse à présenter une "partie de plaisir", où la noblesse en grande tenue s'approche de la prise au filet d'une grande quantité de poisson. Si Bandol est un port de pêche réputé, le lieu de la Madrague en est en peu éloigné, puisqu'il appartient aujourd'hui, sa plage et son petit port de plaisance à la commune de Six-Four. On y voit au loin la ville de la Ciotat et son fort (qui n'existe plus), l'île Verte face au parc du Mugel avec son rocher caractéristique, le bec de l'aigle, et on devine toute au fond l'île Riou dans la baie de Marseille.
Ce tableau fait donc la jonction entre les ports de Toulon et Marseille.




Reproduction d'une carte de 1700


Joseph VernetLa Madrague, ou la pêche au thon dans le golf de Bandol, 1755
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre



Joseph Vernet reste à Toulon avec sa famille de 1754 à 1756, presque deux ans, pour y peindre trois vues. C'est le port qui bénéficiera du plus grand nombre de vues, attestant l'intérêt de Louis XV pour cette place militaire dont Vauban à terminé les derniers agencements stratégiques à la suite de Colbert. Un grand nombre de bâtiments militaire s'y trouvent, ainsi que les galères, alimentées par le bagne installé dans la ville en 1748.
Pour Florence Ingersoll-Smouse, la vue de la rade depuis le Mont-Faron, "adorable scène de genre", est le meilleur tableau de toute la série des ports. La bourgeoisie locale, sur la terrasse d'une bastide privée, s'y adonne aux plaisirs de l'époque (chasse, équitation, pétanque). Entre la célèbre rade militaire et le premier plan, on distingue le centre ville mais aussi les cultures spécifique qui alimente la région et le pays (orangers en pots sur les balustrade qui sert pour la fleur d'oranger, olives pour l'huile, vigne pour le vin... La petite noblesse de Toulon s'est bâtie sur la possession terrienne et l'artisanat en draperie et savonnerie).
Les deux autres vues, celles du Pont-Neuf prise à l'angle du parc d'artillerie au matin et la vue du vieux port prise du côté des magasins aux vivres au coucher du soleil, forme comme un triptyque de l'activité militaire et économique de la ville (un port militaire emploie de nombreux ouvriers civils) sur trois moments de la journée.
Dans la dernière toile du triptyque, nous somme sur le quai du parti où se prépare une expédition de douze-mille hommes vers l'île de Minorque, pour le début de la guerre de sept ans. Au bord du quai s'entasse les sacs de farine et de céréales ainsi que les jarres d'huile, le vin est transvasé dans des tonneaux et des meules de gruyères sont roulées vers les barques qui se dirigeront ensuite vers la flotte qui suivra le vaisseau principale conduit par le lieutenant général de la Galissonnière, Le Foudroyant, possiblement le plus gros des vaisseaux au mouillage sur l'image. A droite est représenté une partie de navire spécifique à la Méditerranée, nommé l'Hirondelle et construite à Toulon en 1742.
Quelques animaux seront emportés vivant mais la plupart attendent leur tour pour passer à l'abattoir sur la gauche, afin de compléter les stock de viande séchée. La scène est est observée par quatre bagnards enchainés et dirigée par Monseigneur de l'Epine, directeur des vivres (en rouge), le commissaire Carnot chargé de l'inspection (penché avec sa canne) et un officier des Compagnies Franches (en jaune). 
Il peint le port d'Antibes durant les mois passés à Toulon dans une charmante petite scène de genre.



Joseph VernetL'arsenal de Toulon dans l'angle du parc d'artillerie, 1755
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


Joseph VernetLa ville et la rade de Toulon, 1756
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre



Joseph VernetLe port vieux  de Toulon, 1757
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre



Carte de Toulon de 1707


Joseph VernetVue du port d'Antibes, 1757
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


En 1754, à Toulon, le jeune peintre Pierre-Jacques Volaire, alors en formation, croise la route de Joseph Vernet, maître reconnu des marines et des paysages. Vernet, d'un caractère affable et toujours prompte à enseigner ou conseiller les jeunes générations, remarque le talent de Volaire et l’initie aux subtilités de la lumière et de l’atmosphère. Leur collaboration, étalée sur les années de la réalisation des ports, influence profondément Volaire, qui adopte le goût de Vernet pour les effets dramatiques et les jeux de lumière, notamment lors des éruptions du Vésuve qu’il peindra plus tard et qui feront sa célébrité. Cette aide précieuse aidera Vernet à assurer les commandes mineure qui affluent en grande quantité. A son retour en France, le délais d'attente passe de six mois à deux ans pour obtenir un tableau de Vernet  


Il profite d'une pause dans sa ville natale d'Avignon avant d'entamer les vues du port de Sète, dont le ciel ombrageux évoque bien son expérience négative de son séjour (il parle dans sa correspondance d'une "méchante petite ville"), puis des deux vues du port de Bordeaux où il reste près de trois ans.
Il faut préciser que si le travail topographique est rigoureux, sur la base de relevés précis et d'observation in situ, les tableaux de Vernet sont le fruit d'un travail d'atelier et qu'il prends donc beaucoup de liberté dans le décorum. L'avant scène de la vue de la rade de Toulon par exemple est entièrement fictive et la fontaine à droite n'existe absolument pas, alors qu'il existe de nombreuses fontaines, dont certaines du célèbre sculpteur local Pierre Puget. Cette information est importante à souligner dans le cadre de la thématique "augmenter, documenter le réel" en le mettant en perspective par exemple avec le travail rigoureux de Rosa Bonheur sur son approche du ton local et ses nombreuses esquisses peinte, là ou Vernet se contente de quelques dessins rapidement annotés pour le coloris.



Joseph VernetLa vue du port de Cette (Sète), 1757
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


Joseph VernetVue d'une partie du port et de la ville de Bordeaux, 1759
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


Joseph VernetVue d'une partie du port de Bordeaux, 1759
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre

Après Bordeaux ce sera Bayonne puis Rochefort, La Rochelle et Dieppe. Mais on constate dans les lumière que Vernet est bien un peintre de la Méditerranée et des lumière du sud. Il est épuisé par sa vie nomade qui impacte fortement sa famille (sa femme sera bientôt internée pour des épisodes de démences et de paranoïa) et les caisses de l'état sont vides, rendant difficile le paiement d'un projet qui n'a plus la même priorité qu'il y a dix ans, la France s'étant séparé d'un bon nombre de bâtiments de guerre, ancien et couteux à entretenir en temps de paix. C'est la fin de la série des ports de France, dont la valeur artistique s'ajoute à celle documentaire et historique qui en font sa gloire dans le temps par rapport aux autres peinture de marine plus imaginaires, dont les goûts et les modes ont effacés l'intérêt publique. 

Joseph VernetVue de Bayonne, 1761
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


Joseph VernetVue du port de Dieppe, 1765
Huile sur toile, 1,63 x 2,63 m Louvre


Après cette vie itinérante, Joseph Vernet se fixe à Paris. Il vit au palais du Louvre selon le bon vouloir du Roi où sont rassemblé la plupart des artistes de son époque comme Greuze (auquel il sera comparé pour son style moraliste sur la dernière période artistique), Fragonard, Boucher, Chardin ou Hubert Robert qu'il inspirera.
Avec le succès de ses œuvres aux salons et la vente prospère de ses gravures, il vit largement et profite des mondanités de la capitale, ce qui n'est pas sans effet sur son travail, ajouté à son âge grandissant (il a alors 52 ans) au fur et à mesure de ces années. Il fréquente Diderot et arrive au point culminant de sa réputation. Florence Ingersoll-Smouse évoque cette période comme une perte de contact avec la nature et la répétition de même motifs avec les mêmes pêcheurs, les mêmes baigneuses et les mêmes naufragés.
De cette époque nous avons plusieurs portraits intéressants du peintre ainsi qu'un buste sculpté.

Charles Nicolas II Cochin et Jacques-Phillipe Le Bas, La ville et la rade de Toulon d'après Joseph Vernet, 1762 gravure Musée d'Art et d'Histoire de Genève



Alexandre Roslin, Portrait de Joseph Vernet, 1767


Louis-Michel Van Loo, Portrait de Joseph Vernet, 1768

Louis-Simon Boizot, Portrait de Joseph Vernet, 1806




La période parisienne est celle du succès international de l'artiste avec des clients hollandais, suédois, allemands et anglais et de toute l'aristocratie européenne. Dans son analyse minutieuse des livres de comptes et de la correspondance, Emilie Beck Saiello suggère que le succès de Joseph Vernet est autant du à sa maîtrise artistique qu'a ses stratégies professionnelles et la constitution du réseau solide et entretenu, qui se consolide par sa présence fixe à Paris. Il faut rappeler que les artistes à l'époque n'ont ni agents, ni galleristes pour vendre leur travail et que le salon de Paris et les critiques ne suffisent pas à un rayonnement international. 
A ce titre Joseph Vernet est un fin stratège avec une organisation rigoureuse, comme le démontre les documents des archives familiales.
Les dernières années de sa vie marque un certain isolement vers l'âge de soixante ans, avec la dégradation de la santé mentale de sa femme qui doit être internée, la mort de son beaux-père qui vivait avec eux, sa fille qui se marie avec un architecte... cette période est aussi celle de son déclin artistique.
En 1782 son fils Carle remporte le grand prix de Rome de peinture et épouse la fille du peintre Moreau Le Jeune.
En 1786 il présente vingt-cinq tableaux au salon de Paris
En août 1789, son fils Carle est agrée à l'académie royale de peinture, inaugurant le premier duo père-fils dans cette institution, puis Joseph Vernet meurt le 3 décembre à l'âge de soixante-quinze, aux galerie du vieux Louvre. Il sera inhumé le lendemain en l'église de Saint-Germain-L'Auxerois. 

Joseph Vernet, Mort de Virginie, 1789



Bibliographie:

- Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, peintre de marine, 1714-1789, 1926, réedition BNF Hchette Livre en deux volumes (la biographie est dans le volume 1)
- Emilie Beck Saiello, Car c'est Moy que je peins: stratégies familiales et professionnelles de Joseph Vernet à travers l'étude critique de son livre de raison et de sa correspondance, 2025, édition conférence en trois volume
- Académie du Var, Une histoire de Toulon vue par les peintres et les dessinateurs, 2021 deux volumes
- Michel Vergé-Franceschi, Toulon Port Royal 1481-1789, 2002edition Alpha - Histoire

Sitographie:

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065599
https://www.tombes-sepultures.com/crbst_2232.html
https://www.institutcalvet.fr/fr/les-oeuvres/portrait-de-joseph-vernet